Dans la foulée du dossier sur l'industrie pharmaceutique, Booksmag publie sur son site un article passionnant de Mikkel Borch-Jacobsen sur les manœuvres de quelques grands noms du médicament sur Wikipédia. Le sujet est d'une actualité brûlante, car le Psychopharmacologic Drugs Advisory Committee de la FDA se réunit demain pour discuter de l'approbation de la quétiapine (c'est l'une des molécules dont il s'agit) pour la dépression et l'anxiété généralisée alors que son efficacité comme antipsychotique est contestée et qu'AstraZeneca est en procès pour avoir dissimulé ses effets secondaires (le tout prend même un parfum de scandale, avec du sexe et de l'espionnage).
Le rapport avec Wikipédia, c'est que le site fait maintenant partie des moyens de communications utilisés par les laboratoires pour promouvoir discrètement leurs produits. La manipulation des articles par des entreprises ou des groupes de pression extérieurs fait partie des inquiétudes souvent exprimées par les contributeurs réguliers mais il n'est pas toujours facile de cerner l'ampleur du phénomène. En l'occurence, Mikkel Borch-Jacobsen détaille différentes modifications effectuées depuis le réseau d'AstraZeneca (elles avaient été analysées par un blogueur en 2007 quelques jours après la mise en ligne du WikiScanner).
Évidemment, on se demande immédiatemment comment Wikipédia s'est tirée de cette histoire. Un petit tour par l'historique d'un des articles concernés montre que les changements les plus problématiques ne sont restés dans l'article qu'une journée et que le contributeur en question a été bloqué peu après, c'est-à-dire un an avant que le lien probable avec AstraZeneca ne soit révélé dans la presse et les blogs. Ce blocage et ce retour en arrière ne sont cependant justifiés que par ses maladresses (il a copié des textes protégés par le droit d'auteur, obscurci l'introduction et ignoré les messages sur sa page de discussion). Difficile donc d'en tirer des conclusions claires quant à la résilience – pour employer un mot à la mode – de Wikipédia.
En revanche, cette histoire ne semble pas non plus justifier la conclusion du Wikigrill (« Un conseil si vous êtes malade : ne consultez surtout PAS Wikipédia ! »). Quand on connait les scandales impliquant des psychiatres universitaires en vue ou les controverses sur les associations de patients, on se dit que Wikipédia ne s'en sort pas trop mal.
6 commentaires:
Le principal problème restant qu'il est bien indiqué que
"Il n’y a aucune certitude qu’une phrase quelconque, contenue dans ces articles soit vraie, correcte, précise, ou soit à jour. La plupart d'entre elles sont écrites, en partie voire en totalité, par des non-professionnels de la santé. Elles peuvent être modifiées par des personnes promouvant des traitements inefficaces, par des adeptes de théories marginales et controversées ou par des farceurs."
dans le disclaimer francophone. Un jour on arrivera a faire rentrer ça dans la tête des gens :)
Ceci m'embête un peu plus, les marketeux s'organisent maintenant...
J'ai une expérience de première main de structure où l'idée a été avancée d'utiliser Wikipédia comme outil de communication - l'idée a été balayée en 12 secondes, et essentiellement pour une raison que j'ai trouvée ma foi surprenante, à savoir que... c'est trop compliqué. J'avais pour ma part proposé qu'on mette simplement nos documents *publics* en licence libre (genre les images d'illustration pour le site web), et même ça n'est pas passé. Le seul truc qui est resté est qu'un wiki interne aurait par contre de l'avenir (deux projets ont du coup été lancés ou ébauchés).
Les décideurs sont souvent des gens de 38 ans et plus, pas forcément au top de ce que Wikipédia est ou comment elle fonctionne. Dans n'importe quelle grande organisation, il y a par ailleurs un facteur de politique interne qui fait que, pour se couvrir les fesses, le rédacteur voudra faire réviser le texte soit par son chef direct (rarement plus jeune et plus impulsif), soit par le département juridique, qui tous ont d'autres choses à faire de leurs journées (notamment couvrir leurs fesses à eux). Adieu donc la réactivité nécessaire pour agir en page de discussion ou atteindre un consensus avec des inconnus sur une section d'un texte pré-approuvé en bloc à l'interne. Sans compter la certitude, quasi-mystique, que d'une manière ou d'une autre "ça se saura".
Du coup, je suis prêt à parier mon chapeau que le Dr. Machin a agit de son propre chef, sans autorisation préalable, et que ce genre d'attitude restera encore longtemps réservé aux PME, ONG, franc-tireurs et/ou aux créatifs des agences de com. Les grandes institutions (multinationales, gouvernements, agences ONU) sont structurellement bien trop conservatives pour ça.
C'est certainement vrai en général mais l'industrie pharmaceutique est dans une situation particulière. Elle a des coûts et des délais de développement de nouveaux produits extrêmement importants et fait face à une grosse pression pour trouver des revenus au fur et à mesure de l'expiration des brevets des “blockbusters” et elle ne peut pas non plus faire de publicité aussi simplement que la plupart des autres branches.
Du coup, il y a pas mal de coups tordus (tout ce qui est off-label marketing, les articles fournis clés en main aux psychiatres universitaires, les études cliniques non-publiées, les “seeding trials”) qui finissent parfois par des procès. Il ne semble pas que la volonté de couvrir ses fesses ou la peur d'un retour de bâton en terme de communication ait suffit à éviter tout ça, alors un petit tour sur Wikipédia en plus, ça parait pas impossible.
Cela dit, c'est vrai qu'en ce qui concerne l'exemple cité, on sait qu'il se connecte depuis le réseau en question mais pas qui est son employeur, est-ce que c'est un effort concerté, à quel niveau, etc. Ça peut tout aussi bien être un stagiaire qui fait ça de son propre chef, un employé d'une boîte de communication qui travaille pour le labo ou un chercheur qui essayait de placer ses propres articles.
"les moyens de communications utilisées" : utilisés
@DC : c'est corrigé.
J'ai également expliqué par A + B à ma responsable marketing pourquoi Wikipédia n'était pas la meilleure voie pour une stratégie marketing. Et je pense également que pour l'instant il s'agit plus de tentatives individuelles maladroites que de stratégie organisée
En revanche, j'ai eu quelques échanges avec une bloggeuse belge spécialisée dans l'écriture web à ce sujet, parce qu'elle avait fait toute une série de billets sur "comment écrire sur Wikipédia" où elle montrait comment utiliser WP pour sa com'. C'est là http://www.ecrirepourleweb.com/best-practices/a-faire-et-ne-pas-faire-sur-wikipedia-wikipedia-4 (ce billet et 3 autres précédents). Elle n'a pas du tout compris apparemment ce que je lui expliquais... la notion de neutralité lui étant visiblement assez étrangère.
Pour moi, se lancer dans une stratégie de communication/publicité/marketing par l'intermédiaire de Wikipédia, c'est suicidaire pour une boite. A moins d'être particulièrement doué, ou totalement inconnu (et donc de passer "entre les mailles du filet".
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