"La critique est facile, mais l'art est difficile." Le wiktionnaire m'apprend que la citation serait de Polybe, et un récent article confirme que non seulement la critique est aisée, mais en plus elle est payante.
J'essplique.
Le papier en question s'intitule "Social consensus through the influence of committed minorities"1 et, comme le titre l'indique, discute des changements d'opinion à travers un groupe et sous l'action d'une minorité engagée. En substance, les auteurs démontrent que tant qu'une minorité demeure inflexible et refuse le compromis, elle a de bonnes chances d'influencer de manière décisive la vision de la majorité une fois qu'elle aura atteint un seuil estimé à 10%.
Un bon exemple actuel est le Tea Party américain, qui représentait effectivement une minorité de l'électorat US mais dont la capacité à fixer les lignes du débat politique local au cours des deux dernières années est proprement stupéfiante.
Notez l'inflexion. |
La dynamique est assez simple: on part d'une minorité dont la ligne idéologique est claire et sans compromis, face à une majorité qui, par définition, est plus accommodante parce que les thèmes développés sont initialement marginaux. La majorité fait de plus en plus de concessions, jusqu'à finalement accepter les thèmes anciennement minoritaires comme le nouveau paradigme. Le plus beau, pour la minorité, c'est qu'il lui suffit de camper sur ses positions et d'attendre: ce sont les autres qui feront le chemin tout seuls comme des grands.
On a depuis quelques temps, il me semble, notre Tea Party wikipédien: une minorité solidaire et affirmée dont le slogan pourrait être Touche pas à mes potes, et qui a longtemps évolué aux marges de la communauté. Le fond de commerce de ce petit groupe a toujours été la critique inconditionnelle du système, à commencer par le Comité d'Arbitrage qui, justement, touchait à leurs potes. Je parle de critique inconditionnelle parce que, honnêtement, j'ai vu, lu et entendu des critiques à propos des décisions -pourtant collectives et consensuelles- du Comité d'arbitrage, mais beaucoup moins de contre-propositions quant à ce qu'un bon arbitre aurait pu faire pour régler les problèmes qui étaient soumis au CAr (à part, bien sûr, ne pas toucher aux potes et faire du Wikilove). Ajoutez à cela un Comité qui traditionnellement ne dit pas grand-chose hors de ses pages, une majorité plutôt conciliante - au nom du maintien de la bonne ambiance communautaire et de l'évitement des conflits justement - et, petit à petit, on s'est retrouvé avec un nouveau paradigme ces derniers mois: les arbitres sont collectivement des nazes.
C'est vrai qu'entre se casser la tête à lire des argumentaires-fleuves, fouiller des historiques, chercher des solutions qui profitent au contenu plutôt qu'à X, Y ou ses copains d'une part, et faire de la critique systématique sans autre contre-proposition que "j'aurais certainement pas fait comme ça, vous êtes un danger pour le projet", le combat est assez inégal.
La démonstration par l'absurde que ce système fonctionne est qu'on a aujourd'hui un candidat arbitre comme Argos42 qui, avec 12% de contributions en moyenne ces derniers mois dans l'espace encyclopédique (quasi-uniquement des retraits de bandeaux de suppression et LiveRC) et une usurpation d'identité à fins de nuisance à son actif, passe pour quelqu'un avec un programme2. Sa candidature au Comité a peu de chances d'aboutir (encore heureux), mais je suis surpris de voir autant de gens prêts à jouer avec le feu.
C'est plutôt bien trouvé, c'est un peu dommage pour ceux qui votent actuellement en fonction du bruit généré sur le bistro ou IRC plutôt que sur un bilan des arbitres qui, dans les faits, est globalement positif. Mais c'est la vie.
1. J. Xie, S. Sreenivasan, G. Korniss, W. Zhang, C. Lim, B. K. Szymanski, "Social consensus through the influence of committed minorities", Phys. Rev. E 84, 011130 (2011). Je ne mets pas de lien, il est derrière un paywall. merci Skippy pour le lien vers arXiv.
2. Bon, au moins il est franc: wikipédia est pour lui un réseau social.
2. Bon, au moins il est franc: wikipédia est pour lui un réseau social.