jeudi 24 novembre 2011

Chacun son combat

Ainsi donc, l'amendement 22 au projet de loi sur la retribution de la copie privée, amendement qui visait à la mise en place de la liberté de panorama en France, a été rejeté par les élus français. On remerciera MM. Lionel Tardy (UMP - Haute Savoie) et Jean Dionis du Séjour (NC - Lot-et-Garonne), les proposants ainsi que, même si le sourire sera un peu plus crispé, le Ministre Mitterrand, la rapporteuse Marie-Hélène Thoraval (UMP - Drôme) et surtout Patrick Bloche (PS - Paris), qui se sont opposés à l'amendement.

Le débat, plutôt intéressant, est disponible ici par écrit et  en vidéo, et la liste des votants devrait sous peu être en ligne . Il semble en gros qu'on ait suivi des disciplines de parti, puisque seuls les Nouveau-Centre ont soutenu leur collègue, tous les UMP et PS présents ayant voté contre (sauf un, Lionel Tardy: on n'est jamais trahi que par ses amis). C'est en soi un premier enseignement.

Le second enseignement, c'est que la politique c'est dur. Ce que je retiens du débat, au final, c'est que selon nos représentants (en tout cas ceux en séance en pleine nuit) la liberté de panorama c'est un truc bizarre dont on ne sait pas trop les effets, oulah, ça pourrait être dangereux-sait-on-jamais-il-faut-vite-une-étude-d'impact-sur-le-fait-qu'on-soit-archaïques. Je caricature un peu méchamment, tous les acteurs présents connaissaient visiblement leur dossier, même la rapporteuse qui a montré qu'elle avait fait ses devoirs:
"Depuis la loi du 1er août 2006 sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information, s’agissant de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, il permet de disposer de la reproduction d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne dans un but exclusif d’information immédiate et ceci est autorisé. En outre, la jurisprudence a permis de faire émerger ce qu’on appelle la théorie de l’accessoire, à savoir la représentation d’une œuvre située dans un lieu public qui est accessoire au sujet traité et échappe à la qualification de contrefaçon pourvu qu’elle soit fugitive."
Je ne sais pas pour vous, mais j'aurais du mal à citer tout cela dans une conversation à 23h30 passées. Je vous renvoie toutefois vers les billets de Jastrow (notamment le dernier) sur les points spécifiquement évoqués.

Pourquoi l'échec?
Viennent maintenant les usuels commentaires d'après match, où l'on se demande quel crime a encore commis l'infâme Raymond Domenech et comment on peut apprendre de nos échecs.

Concernant le ministre, je le soupçonne d'après ses commentaires de suivre sa rapporteuse et d'avoir juste envie de se coucher sans rentrer dans les détails d'une proposition qui, il le sent, n'est pas totalement à sa place ce soir. Pour Mme Thoraval, elle défend probablement son texte devant des mecs de son camp qui n'étaient pas dans sa commission (zéros amendements autres que d'orthographe selon Tardy, qui en a déposé 38 pour sa part) et, si ça se trouve ne l'ont pas prévenue avant (c'est en tout cas toujours ce genre de dynamique qu'on voit parfois là où je travaille: c'est fou ce que les gens sont territoriaux parfois). 

Il présente plutôt bien, je trouve.
Reste le cas Patrick Bloche, de loin l'adversaire le plus virulent ce soir-là de ce qu'il appelle "l'amendement Wikipédia". Ce n'est pas anodin comme remarque: il sait visiblement de quoi (et qui) il parle, dans la mesure où il pointe directement vers l'intérêt particulier du projet chez qui, il est vrai, la liberté de panorama a fait couler beaucoup, beaucoup d'octets. 

J'ai du coup moi aussi fait mes devoirs, et je suis allé voir (1) s'il savait vraiment de quoi il parle et (2) s'il n'a pas en fait juste une dent contre Wikipédia (ça arrive). Réglons d'emblée le deuxième point: il n'y a priori pas de contentieux entre l'encyclopédie et lui, à tout le moins dans la mesure où (i) son article ne fait pas ses poubelles; (ii) l'historique ne montre aucune tentative d'hagiographie dont l'auteur aurait été prestement bloqué-révoqué; (iii) il est parfaitement au courant de l'existence de l'article, vu que c'est lui qui a directement ou indirectement fourni la photo pour l'illustrer (cf. utilisateur:LaurentParis11, dont l'unique contribution sur Commons est... la mise en ligne d'une jolie photo du député).

Côté boulot, j'apprends en consultant sa fiche sur le site de l'Assemblée qu'il est membre de la commission des affaires culturelles et de l'éducation et co-président du groupe d'études parlementaire sur Internet, audiovisuel et société de l'information. Il s'occupe aussi de l'audiovisuel extérieur de la France et est membre du Haut conseil des musées de France. A première vue, la culture et sa diffusion, c'est donc plutôt son truc, surtout qu'il s'est apparemment opposé à HADOPI et se serait prononcé pour la licence globale. Enfin, et c'est le point qui m'a le plus intéressé, c'est que M.Bloche est le rédacteur de l'avis de la Commission de la culture sur le projet de loi de finances 2012, modestement intitulé "Création ; Transmission des savoirs et démocratisation de la culture", dont je recommande la lecture (ou à tout le moins le survol).

Rien que sur pedigree, ce monsieur devrait donc être du côté wikipédien. Et pourtant pas. Ou pas vraiment. Ou pas encore.

Prises de position
Bon, je vais être honnête, je trouve que son intervention est pas mal empreinte d'une certaine mauvaise foi, notamment sur le point DADVSI (voir vers 4:00 sur la vidéo). Mais si je recommande la lecture du rapport ci-dessus, c'est en fait parce qu'il est extrêmement informatif sur les priorités du député (c'est encore plus clair sur son site, en fait): visiblement, il s'agit avant tout pour lui d'assurer la rémunération des créateurs de contenus. Je n'ai pas l'impression qu'il croie beaucoup au libre ou au libre marché (voire au marché du libre), et ses interventions montrent souvent une plaidoirie pour le soutien affirmé de l'État (un point de vue qui se défend).

On peut aimer les subventions, mais il serait temps pour lui d'enlever ses oeillères et se rendre compte que d'autres modèles fonctionnent, sont viables, complémentent les démarches étatiques et encouragent de fait la création et la démocratisation du savoir (genre... Wikipédia, monstre libertarien s'il en est). Il me semble à tout le moins qu'un système hyper-restrictif est un frein à l'innovation parce que, honnêtement, un architecte a mieux à faire que gérer les droits visuels de ses bâtiments en l'absence d'organisme de collecte pour le faire à sa place (et qui mangerait tout en frais de fonctionnement de toute façon). Le problème de l'innovation, c'est qu'on ne sait pas à quoi elle va ressembler: pourquoi, dès lors, vouloir la brider?

Bref, il va falloir faire un peu de pédagogie. 

1 commentaire:

calimero a dit…

C'est pas juste. Après tout le boulot que fait Cheep et compagnie pour que les articles des députés ump restent bien propres sur eux !!! Faudrait que les nettoyeurs se mettent en grève pour obtenir quelque chose.