dimanche 15 mai 2011

Les trois solitudes

Pain+frites+fricadelles+mayo = EPIC WIN!
Contrairement à ce qu'on pourrait penser ce billet ne parle pas des Canadiens mais, actualité personnelle aidant, de nos amis les Belges.

J'étais donc cette fin de semaine dans le Plat Pays, mangeant d'excellentes frites1 et découvrant qu'une bière de taille moyenne y fait quand même 0,5 litres. Mon voisin d'avion à l'aller, haut fonctionnaire européen, m'entretint de sa vision du pays à l'aune de sa propre expérience tchécoslovaque2.

Je vous épargne les détails, mais il semble qu'en lisant la presse la presse wallone (Le Soir) et flamande (De Standaard, donc pas non plus les tabloïds), on soit confronté à deux versions totalement différentes de la même histoire - un peu, selon la propre expérience de mon interlocuteur, comme ce qu'on voyait de Prague et Bratislava circa 1991-92. Détail inquiétant pour les Belges: ça n'était selon lui pas le cas il y a encore dix ans.  

Comme on m'a judicieusement appris à faire confiance mais à vérifier, je suis allé voir ce qu'en disait Wikipédia. Ou plutôt ce qu'en disaient les Wikipédias, la néerlandophone et la francophone.

Échantillon totalement non représentatif mais toutefois symbolique, j'ai choisi deux articles potentiellement connotés, à savoir 
  1. Bart de Wever, leader de la N-VA d'extrème-droite flamande (dixit mes potes belges); et
  2. la Wallonie, repère de chômeurs depuis trois générations (dixit mon collègue belge - vous aurez compris que les premiers et le second ne vivent pas dans le même coin).
Commençons par l'ami Bart, qui avec un prénom comme ça ne peut être totalement mauvais homme. En fait si, car les deux versions parlent de Controverse à son sujet. En néerlandais, on apprend donc que
Le Vlaams Belang a tenté de compromettre De Wever en montrant une photo de 1996 le trouvant aux côtés de Jean-Marie Le Pen, du parti français d'extrème-droit Front national, prise lors d'une conférence à Anvers du club de débat Vlaams-Nationale. De Wever a par la suite nié tout lien avec l'extrème-droite. La photo a été publiée sur le site de Filip Dewinter3.
Chez les francophones, c'est presque la même histoire. A quelques détails près. La section pour commencer ne s'appeller pas juste Controverse, mais Controverse sur ses liens avec l'extrême-droite:
Le Vlaams Belang a essayé de mettre De Wever en difficulté en faisant publier une photo datant de 1996 et le représentant aux côtés de Jean-Marie Le Pen du parti d'extrême droite français Front national, prise à l’occasion d’une conférence organisée par le Vlaams-Nationale Debatclub à Anvers. De Wever s’est défendu d’avoir un quelconque lien avec l’extrême droite, mais certains mettent en doute la sincérité de ses explications103. La photographie fut dévoilée sur le site web de Filip Dewinter.
Tout pareil, à 10 mots prêt. On retrouvera ces mots qui font toute la différence dans le paragraphe suivant, qui traite d'un accrochage au sujet de l'attitude d'Anvers dans la déportation de Juifs pendant la guerre avec, en français toujours, un "ce qui n'empêcha pas certains commentateurs de considérer qu'il frôlait le négationnisme105". Ces commentateurs-là ne parlaient visiblement pas le flamand (c'était La Libre Belgique), car on ne les y a apparemment pas lus.

La Wallonie est traitée un peu différemment4. On apprend chez les francophones et dans une section dédiée qu'elle dispose d'un "Projet de Société" socialiste (article détaillé: le renardisme), français (article détaillé: rattachisme) et comme région d'Europe. Les néerlandophones parlent plus simplement d'un mouvement wallon (Waalse Beweging), né vers 1912 et qui prit son essor avec la grève générale menée par André Renard en 1960-61. On apprend toutefois que le mouvement, surtout en regard de son équivalement flamand, est d'une envergure "marginale".

Tout ça pour dire qu'on a apparemment deux façons de voir les choses et que si on me demandait mon avis c'est pour l'instant du côté francophone qu'on a un soucis de neutralité. Ne nous leurrons pas, ce n'est pas un problème belge: on trouvera sûrement pareilles nuances entre wikis catalan et hispanophone, bretonnant et francophone, russe et ukrainien. Et vu l'usage extensif des sources qui est de plus en plus fait, ce n'est certainement pas un problème wikipédien.

Je n'ai, bien évidemment, pas de solution à apporter, sinon qu'il faut toujours se méfier de ce qu'on lit.



1. Les meilleures ne se trouvent pas à la Maison Antoine, qui mérite pourtant le détour, mais dans une baraque à frites d'Ixelles dont je garderai le nom et l'emplacement cachés au fond d'un coffre dont la clef est elle-même au fond d'un puit.
2. Ma règle est que si quelqu'un parle couramment trois langues de plus que moi, dont le tchèque, l'estonien et le néerlandais, il mérite d'être écouté.
3. Leader du parti concurrent Vlaams Belang.
4. J'étais quand même surpris de découvrir qu'il n'y a de section " Économie de la Wallonie" dans aucune des deux versions.

2 commentaires:

iluvalar a dit…

« sinon qu'il faut toujours se méfier de ce qu'on lit. »

En langage wikipédien ça devient :

S'assurer que c'est vérifiable et pas seulement d'avoir une source.

S'assurer que l'attribution elle-même est pertinente (pas seulement l'affirmation qu'elle véhicule supposément).

Les PF dans la section politique de WP-fr sont probablement mal appliqués, mal compris (ou délibérément). Il faudrait y voir, mais bien malin qui saurait trouver un admin à la fois qualifié, responsable et volontaire pour ce mettre la main dans cette engrenage. L'ennui c'est que si personne le fait, la mésinteprétation des règles risque de se propager comme un mauvais virus.

Anonyme a dit…

Il faudrait lire les wikipédias en hébreu et en arabe en simultané. Il doit y avoir des perles.