dimanche 18 juillet 2010

Un blanc vaut 74 noirs

Je revenais tranquillement du boulot quand, sur Radio France internationale, on annonce qu'un double attentat ensanglante Kampala. En même temps que j'écoute tout cela, je me demande si Wikipédia a déjà un article et, incidemment, si l'on a droit à une proposition de suppression aux échanges aussi homériques que ceux ayant entouré la création d'un article sur la capture du Ponant, au large des côtes somaliennes, en 2008.

On a, effectivement, un article sur le sujet, créé une douzaine d'heures à peine après les évènements. Pas de demande de suppression en vue à l'heure où j'écris.

Si vous comparez les deux articles, vous relèverez que la longueur et la qualité des articles sont inversement proportionnelles à leur importance (relative) dans la marche du monde. L'un pèse plus de 15'000 signes rédigés par une soixantaine d'auteurs, comporte une quinzaine de sources et une photo, et en fin de compte ne vise qu'un vulgaire braquage à main armée. L'autre, avec ses 4'000 signes commis par 10 personnes (en fait, surtout une), n'a pas de photo et moitié moins de notes de référence. Il traite d'un acte de terrorisme transnational, conséquence revendiquée de l'intervention militaire d'une puissance régionale dans un état en déliquescence complète. Dans le premier on apprend qu'au final un pirate aura été blessé "par un éclat de moteur", le second fait état de 74 morts et 70 blessés.

L'un concerne un fait relativement anodin dans le contexte régional (un acte de piraterie parmi 293 autres cette année-là, me souffle le Bureau maritime international), l'autre est à mon sens infiniment plus porteur de sens sur les capacités logistiques d'un groupe capable d'infilter, héberger et équiper des kamikazes à plus de 1500 kms de ses bases, dans un pays même pas adjacent.

Mais soit. On a les priorités de ses proximités, j'en parlais il y a tout juste un an: un compatriote français (voire simplement francophone) nous est tout de suite proche, alors que l'Ouganda, si on sait même que cela existe, c'est loin. Cela se reflète encore dans le fait que six fois plus de contributeurs se seront penchés sur la rédaction du premier que du second article.

Bref, crûment posé, un bateau de blancs semble valoir, au moins inconsciemment, plus de 74 morts noirs.

Le 15 juillet dernier c'est au tour du Joundallah iranien de réduire en cendres la vie de 20 personnes (+250 blessés). Là aussi on aurait beaucoup à dire, sauf qu'au final ça ne fera qu'une ligne et demi (par un seul contributeur) ajoutée à l'article décrivant ce groupe. Pas (encore) d'article ad hoc sur l'évènement. Les dizaines d'attentats en Irak ne sont pour leur part même plus comptabilisés depuis belle lurette.

Pourtant l'Iran et l'Irak sont quand même plus connus que l'Ouganda, même si ce n'est pas franchement pour les meilleures raisons. Je me demande du coup si la façon dont une information est rapportée sur Wikipédia, dans ce métrique assez neutre qu'est la taille de l'article, n'est pas aussi une mesure de la perception (positive ou négative) qu'on a du pays où l'évènement traité s'est produit. Morts en pays ami ou neutre = article. Morts en pays hostile = note de bas de page. Je ne juge pas, mais c'est troublant.

6 commentaires:

Meodudlye a dit…

Bah, c'est juste la preuve que ceux qui écrivent des articles sur l'actualité en jurant qu'ils le font parce que c'est important, ne le font que parce que TF1 en a parlé. Et la quantité d'information qu'ils sont capable d'insérer dans ces articles est simplement proportionnelle au temps passé par TF1 sur le sujet.

Rien de bien surprenant, mais cela montre bien que ceux qui disent que l'actualité c'est toujours encyclopédique, sont juste des menteurs.

Graoully a dit…

Rien de très dérangent, chacun écrit sur ce qui le concerne le plus d'après lui. Si un jour une catastrophe se produit dans ma ville de naissance (Metz en Lorraine) je me sentirais plus concerné que si elle se produit en Bretagne (pas une question de noir ou blanc). I est donc logique que les français s'intéressent plus à un événement concernant un Français. Ce n'est peut être pas juste mais à mon avis profondément humain.

RM a dit…

> Graoully : Metz n'est pas en Lorraine mais dans les Trois-Evêchés, ne mélangeons pas tout ;-)

Anonyme a dit…

Je pense que Graoully a raison, ça n'a rien à voir avec une histoire de blancs ou de noirs. L'affaire du Ponant concerne des Français, c'est tout il n'y a pas d'autre explication cachée à chercher.

D'ailleurs, lorsqu'on compare sur en: les deux articles (http://en.wikipedia.org/wiki/MY_Le_Ponant) et (http://en.wikipedia.org/wiki/July_2010_Kampala_attacks), on peut voir que l'article sur le Ponant est beaucoup plus petit. Est-ce à dire que les Anglophones sont moins racistes que les Francophones ? Non, bien entendu.

Moyg a dit…

Tu triches ; tu compares un article de 2 ans avec un article d'une semaine. Bon, c'est vrai que l'article sur le Ponant était déjà bien "développé" après une semaine, mais la PàS a dû aider aussi.

Sinon, c'est évidemment la présence de français (et pas de blanc) qui joue principalement. Mais c'est vrai que les medias ont tendance à privilégier les occidentaux dans une catastrophe (pour le tsunami de 2004 on avait par exemple un décompte détaillé des victimes occidentales mais pas des asiatiques qui n'étaient pas dans leur pays).

Et c'est valable avec l'ensemble de l'actualité : je viens de retirer de la page d'accueil un lien vers l'affaire Woerth-Bettencourt alors qu'on n'a même pas d'article sur de nombreux opposants politiques condamnés dans des pays lointains (à côté les "scandales" politiques français sont de la rigolade).

P. Lechien a dit…

@Moyg: ça, le francocentrisme est encore un autre problème...

@Graoully/nonyme: il faut lire au-delà du titre (qui je le reconnais était de la franche provoc). J'ai bien dit qu'on a les priorités de ses proximités (et qu'il est donc "normal" de se sentir plus concerné par le devenir d'un français quand 80% des rédacteurs le sont). Le point que je voulais souligner, dans les deux derniers paragraphes, est que même parmi les étrangers certains semblent l'être plus que d'autres, peut-être sous l'influence de l'image du pays d'origine.