jeudi 18 août 2011

Wikipédia et journalisme, une histoire d'amour

Pour plein de très bonnes raisons, j'ai passé le mois de juillet à faire du journalisme scientifique au sein de la rédaction d'un quotidien suisse romand plutôt bien réputé. Rien à voir avec ma vie de wikipédien, sauf que... difficile de faire des séparations claires quand on porte différentes casquettes: on y rencontre des journalistes qui vous ont interviewé au sujet de Wikipédia dans le passé, et à la première mention du mot "wikipédia" dans un briefing de la rédaction, un des rédacteurs en chef rigole en vous regardant en disant "attention, on est surveillé !" Car évidemment, il avait fouillé Google avant votre arrivée pour savoir ce que vous faites de votre vie.

Alors tant qu'à faire, voila un petit résumé de ce que j'ai appris des relations entre Wikipédia et le journalisme, que ce soit pendant ce mois ou lors d'interactions précédentes. Je préviens tout de suite: pour tous les lecteurs qui ont un peu de bon sens, aucune révélation fracassante n'est à prévoir.

Commençons par l'évidence: les journalistes utilisent Wikipédia (tous !), et les journalistes aiment Wikipédia. Tout le monde est au courant1, mais impossible d'avoir le moindre doute, entre les articles imprimés que j'ai vu sur divers bureaux2, les fois où j'ai entendu "même sur wiki, y'a rien à ce sujet"3, ou divers discussions surprises ici et là complimentant le site.

Surtout, les journalistes comprennent comment utiliser Wikipédia, et savent quel crédit apporter (ou non) à son contenu, quoi qu'en dise l'AFP. Bon, en théorie, juger la qualité des sources, c'est un peu leur métier, mais théorie et pratique ne sont pas forcément pareils... A ce sujet, je vous laisse lire l'excellente chronique de Jonas Pulver, journaliste au Temps:  Wikipédia et les médias, la poule et l’œuf qui résume bien la situation4.

Tout n'est pas parfait: la plupart des gens avec qui j'ai discuté ne comprennent pas comment est éditée Wikipédia. Mais ce n'est pas spécifique aux journalistes: je crois que c'est le cas d'à peu près tout le monde hors communauté wikipédienne. Combien de fois ai-je été présenté comme "celui qui décide de l'acceptation des modifications pour les articles concernant la Suisse". Euh... non. "Toi tu fais partie de ceux qui peuvent éditer sur Wikipédia ? Y'aurait un truc à changer ici". En gros, on sait qu'il n'y a pas besoin d'être spécialiste pour éditer Wikipédia. Mais on imagine quand même souvent une petite barrière à l'édition, ou un certain processus de modération.

Quid des journalistes qui contribuent dans Wikipédia ? J'ai trouvé un compte, avec quelques petites modifications au fil des ans (et une tentative de sauvetage désespérée d'une page proposée à la suppression). Les éditions faites via l'adresse IP partagée au sein du journal5 suivent le même profil. Rien de très étonnant: après une journée de travail, les journalistes n'ont pas forcément envie de ramener du travail à la maison.

Reste encore un point intéressant, mentionné par Jonas Pulver dans sa chronique: les journaux utilisés comme source sur Wikipédia, quelque chose qui fait peur à certains journalistes, parce que s'ils connaissent leur niveau de compétence sur un sujet ou un autre, le lecteur (ou le rédacteur wikipédien qui cherche une source) ne le connaît pas. Exemple: j'ai écrit un article dans un domaine où je ne suis pas spécialiste, mais j'ai eu quelques jours pour me documenter, lire les publications scientifiques correspondantes, m'entretenir avec deux spécialistes, puis, après écriture de l'article, le faire relire par l'un d'eux. Un autre jour, à 16 heures, on a encore un bout de page vide et ça tombe bien, voila un sujet qu'il faut traiter. Je dois partir dans deux heures. J'ai le temps de lire l'article scientifique en diagonale, parcourir deux sites de vulgarisation qui viennent de traiter ce sujet et m'apportent un peu de contexte, puis je dois écrire mes 1800 signes. J'ai à peine le temps de le relire moi-même, ne parlons même pas de le soumettre à un spécialiste. Même journal, même rubrique, même auteur, à peu près le même niveau de compétences sur le sujet. Dans un cas, je suis très confiant sur le résultat, dans l'autre, je n'ose même pas relire l'article maintenant de peur de ce que je pourrais y trouver. Comment jauger la qualité de cette source pour une personne externe ? Dans ce contexte, entendre un argument du style "La source est une publication réputée" fait sourire. C'est le cas du Temps en général, mais pas forcément de tous les articles pris individuellement...

A venir pour un prochain billet: un mot sur l'utilisation d'images libres dans les journaux, puis, s'il y a encore des lecteurs, mon expérience personnelle.

1. A part peut-être une bloggueuse qui a récemment décidé d'améliorer la qualité de la blogosphère francophone en arrêtant d'y publier.
2. Le premier que j'ai repéré était l'article sur Georges Pompidou.
4. Et si vous cherchez de la lecture, cette série de chroniques nommées La Vie Numérique sur le site du Temps est excellente.
5. Une bière samedi à celui qui arrive à l'identifier.

4 commentaires:

P. Lechien a dit…

194.209.141.132 ?

Schutz a dit…

Pas loin, mais ce n'est pas la bonne (à première vue, on est dans le pool d'adresses IP d'Edipresse, mais celle-ci semble appartenir à la Tribune plutôt :-)

P. Lechien a dit…

194.209.140.18 ? Si c'est eux ils sont discrets.

Schutz a dit…

C'est ça, oui. Discrets effectivement...