mardi 23 mars 2010

République bananière

Le principe de base de Wikipédia, c'est bien connu, est à l'image de l'univers qui nous entoure: en laissant suffisamment de singes taper n'importe quoi pendant suffisamment longtemps, on aura à terme l'oeuvre intégrale de William Shakespeare, et un commentaire composé sur le sujet, histoire de montrer qu'on l'a lu et compris. En langage savant, on appelle cela le Paradoxe du singe... savant (Borel, 1909).

Mais un singe ne vit pas que de littérature et d'eau fraîche: il lui faut aussi sa banane quotidienne. Sur Wikipédia, cela s'appelle une prise de décision (PdD pour les intimes): Dieu qu'on aime cela, décider de choses hyperimportantes qui seront oubliées avant même la fin du vote. J'irais même jusqu'à dire que ça fait partie du charme local.

J'avais initialement l'idée de vérifier un postulat mien et récent comme quoi la plupart des votes sont, dans les faits, décidés dans les premières heures de leur ouverture. Je ne voulais pas aller voir les administrateurs ou les arbitres (j'avais déjà parlé des bureaucrates), il me restait donc à voir ce qu'on pourrait dénicher sur les consultations communautaires. Las! Tout ce que je peux vous dire, à l'heure actuelle, est qu'il s'agit surtout d'un sacré n'importe quoi.

De fait, premiers chiffres qui calment: sur les presque 250 Prises de décision initiées à ce jour, 92 ont été purement et simplement abandonnées1 soit, pour les votes échus, un taux d'échec des discussions de 41%. Si l'on compare à décembre 2008, époque où j'avais vaguement évoqué le sujet, cela nous fait 33 discussions de plus, mais un taux d'échec égal (41% également à l'époque).
Si l'on se penche maintenant sur le nombre de PdD ayant effectivement passé les fourches caudines du vote communautaire, le nombre de proposition effectivement acceptées dépasse difficilement les 50%. Donc en gros, si vous vous apprêtez à lancer une prise de décision, soyez conscient que votre démarche n'a pas un tiers de chances d'aboutir.

Mais le Wikipédien est malin - malin comme un singe, c'est l'évidence.

Et de quoi s'aperçoit-on? Qu'en fait il n'existe pas une méthode de prise de décision, mais bien autant de méthodes qu'il y a de votes. Je pensais naïvement qu'on estimait le consensus à deux tiers des avis exprimés, mais il s'avère que plus une décision est controversée, plus la barrière est basse: 66% pour la mise en place de l'oversight (elle-même dotée de deux sous-questions à 50% d'approbation), 60% pour le renommage des admins, et 50% pour la suppression des Wikipompiers ou l'encadrement des boîtes utilisateur.

Incidemment et non sans une certaine ironie, plus le taux d'acceptation fixé est bas, plus la proposition semble avoir de chance d'échouer. Une explication à ce phénomène pourrait être qu'un taux bas est fixé par les initiateurs d'une proposition qu'ils savent mal ficelée, et en retour la communauté se défie d'un travail bancal. Ou pas. A titre de comparaison, le taux de rejet des initiatives populaires fédérales suisses tourne autour de 90%: on ne s'en tire donc pas si mal.

Bref, tout ça pour dire que ce ne serait pas une mauvaise idée de lisser un peu tout cela, au moins au niveau des propositions binaires (oui/non). Pourquoi pas par le biais... d'une prise de décision?




1. Une vingtaine sont encore officiellement en cours de discussion, mais dans leur majorité et selon toutes apparences abandonnées également. Je vous le dis d'expérience: plus le sujet est compliqué, plus on perd rapidement des participants, y compris parfois l'initiateur des discussions.

3 commentaires:

Pierrot le Chroniqueur a dit…

Tu fais donc un billet pour nous dire que les prises de décision ont des déroulements flous ...
...
...
Copain !

Poulpy a dit…

Faut pas changer le fonctionnement : il permet de donner un os à ronger à certains. Si on rationalise tout ça, ils vont être déçus et iront se venger ailleurs.

Et puis, hein, ça prête très peu à conséquence, tout ça.

Rhadamante a dit…

Pour le taux, ce n'est pas forcément qu'on estime le projet mal ficelé, mais juste qu'on craint une forte inertie de la part de la communauté, ou le réveil de certaines minorités actives capables de faire échouer la proposition. Et ce, même si dans les faits la proposition est déjà effective, mais qu'on a besoin de la formuler explicitement pour couper court a des débats isolés trop longs (principe que rappelait David hier, on a créé les règlements sur wikipédia pour avoir une réponse béton et stéréotypée aux emmerdeurs auxquels on ne pouvait auparavant opposer que le bon sens).
C'est ce que je craignais sur la seule pdd ou j'ai vraiment participé (on peut même dire que je l'ai ressuscitée), et ça n'a pas loupé, même si au final sur les trois questions la seconde est passée avec 70%, la troisième avec 100%, et l'autre est passée à minima (par rapport aux avis de ceux qui ont initié la pdd) grâce à Condorcet...