J'ai récemment eu l'occasion de prendre mon bâton de pélerin pour rencontrer une catégorie assez discrète de Wikipédiens: les Canadiens Québecois francophones d'Amérique du Nord. Si l'on fait abstraction du froid, de la tempête de neige de ce matin (15 cm pour un 7 mars, c'est honnête), et du léger mal aux cheveux hérité de ma première soirée sur place, c'était franchement sympa. Et instructif.
Premier constat, qui tombe relativement à propos après ce billet récent qui a fait du bruit chez Pierrot: il n'y a pas de cabale au Canada. Les Montréalais rencontrés ne se connaissaient pas, et les les Québecois (de la ville de Québec) à peine mieux, leur dernière rencontre datant de 2007. Pas de relations non plus sur IRC, par la Poste ou les signaux de fumée. On se croise sur le projet:Québec, et c'est tout.
A décharge, on remarquera que s'ils sont théoriquement sept fois plus nombreux que les Suisses romands, nos mangeurs de poutine sont répartis sur une superficie douze fois plus grande (et encore, la distance Lausanne-Genève tient pratiquement sur la seule île de Montréal). Toujours est-il que physiquement connectés ou pas, il y a à peine plus de contributeurs qu'en Suisse. Cela n'empêche pas une forme de coordination de s'exprimer, notamment sur les propositions de page à supprimer et dont la génèse, en partie, est à chercher chez ces maudits Français Européens.
J'essplique1.
Le Canada, même si on y jase ici et là en français, est situé en Amérique du Nord. On y est plus direct, plus pragmatique, moins argumentatif qu'en Europe. Premier corollaire: cette perception quasi-unanime qu'un Français est capable d'argumenter pour le seul plaisir de la passe d'armes. Lorsqu'un Québecois se contentera de dire qu'il voit un truc bleu ou vert, il n'est pas pertinent ni utile pour lui de se demander s'il est en fait turquoise ou jade, et encore de vouloir discuter à longueur de page sur le sujet. S'il advenait qu'il le fasse remarquer à sa manière, c'est à dire avec un vocabulaire moins large et une orthographe plus aléatoire (le système scolaire n'a pas les mêmes priorités), il passera rapidement et à son corps défendant pour un troll. La discussion qui n'aurait pas dû être est close: Europe 1 - Amériques 0.
La tentation du défrancocentrage (allégorie). |
Vient ensuite l'effet de nombre. 6 ou 7 millions de francophones d'un côté de l'Atlantique, 70 millions de l'autre. Moralité: voter en PàS c'est pas bien, surtout si on doit demander son avis à la majorité sur un sujet dont elle n'a aucune idée ou une idée limitée à son propre vécu: c'est par exemple toute l'histoire de l'incompréhension réciproque autour de l'idée de nationalité (et pas de Nation), qui sur le St Laurent est plus proche de son acceptation russe2 que française. Sauf que les infoboxes sont gérées en majorité par des Français, et que les connaisseurs du citoyen canadien Falardeau auront du aller jusqu'à la guerre d'édition pour faire accepter sa nationalité québecoise. Les mêmes mots, figurez vous, ne véhiculent pas forcément les mêmes idées, ce qui choque un peu toujours la tradition jacobine. L'un dans l'autre, et même si l'exemple cité était un peu plus compliqué: Europe 2 - Amériques 0.
Bref, d'incompréhensions en mises en minorité, on se retrouve avec un abandon pur et simple ou à tout le moins un exil de certains contributeurs vers les rives anglophones de la Wikipédie, où le nombre et la diversité font qu'aucun point de vue ne domine réellement. C'est paradoxal. Pour ceux qui restent s'est mis en place un système de veille sur les PàS, régulièrement listées sur le Projet:Québec, de manière à ce qu'au milieu des autopromotions associatives on n'acte à la va-vite une suppression qui ne le mérite pas. La coordination n'est donc, au final, que la conséquence du statut de minorité incomprise.
Bon, ce n'est pas non plus la chronique d'une oppression: la plupart des articles de qualité sur le hockey NHL sont par exemple l'oeuvre d'un Français. Idem pour plusieurs autres gros articles. Mais méfions nous quand même, quand il s'agit des grilles de lecture et d'interaction au-delà des océans, des critères à taille unique.
1. Ou j'essaie. J'espère ne pas avoir tout compris de travers.
2. Environ 128 nationalités au compteur, selon WP, mais une seule citoyenneté (les deux appartenances y sont indiquées sur les passeports; je ne sais plus si c'est le cas au Canada).
5 commentaires:
"de manière à ce qu'au milieu des autopromotions associatives on n'acte à la va-vite une suppression qui ne le mérite pas" : j'ai vu récemment une autopromotion associative conservée en PàS parce qu'elle était québécoise (les partisans de la suppression ayant droit aux traditionnelles accusations de racisme).
Concernant le premier constat, je trouve que la formulation est maladroite. Car je pense qu'on peut être "sans relation IRL, IRC ou postale" et tout de même constituer un "clan" (je ne dis pas que c'est le cas ici).
Plus globalement, je pense que l'exemple francophone est totalement opposé à celui de wp:pt où les Amériques ont une population bien plus supérieure à celle de l'Europe, ce qui change les proportions (et donc les rapports de force) quant au choix des mots (si j'ai bien suivi, le Brésil a fait de gros changements, non acceptés par le Portugal, ce qui engendre un clash).
Je me demande si c'est pareil sur es:, tiens.
Pour finir, j'imagine bien qu'il est fatigant de rabâcher à l'immense majorité des francophones européens que "francophone du Canada" n'est pas synonyme de "Québécois" (il existe des francophones dans d'autres Provinces... et au Québec, il existe des non francophones).
Merci pour ce billet.
Je crois que tu as vraiment retenu des éléments importants concernant la situation des québécois sur la wp francophone.
C'est un sujet pas facile à aborder. D'abord parce que c'est à mon avis bien involontaire ces frictions. Enfin j'ose le croire. Des français croient *vraiment* que les québécois sont là juste pour les faire chi** ; des québécois conçoient sincèrement que des français sont trop "franco-centrés"...
Le mieux serait qu'on calme le jeu et qu'on essaie, comme tu l'as fait, de se comprendre et de se retrouver. Encore merci.
À propos de la fuite vers en, je n'aurais jamais pu la faire. Pur produit de l'enseignement public saguenéen, j'écris l'anglais tout croche.
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