dimanche 12 juillet 2009

Dépenser pour enrichir

Vous cherchez à en savoir plus sur la magie, le Timor-Oriental, la mort de Michael ou de Staline. Vous utilisez -gratuitement- Google, qui très probablement vous mênera jusqu'à Wikipédia, l'encyclopédie libre - et gratuite. Disons que vous faites cela parce que vous avez vu un film diffusé gratuitement sur YouTube, ou avez lu quelque chose sur un blog (celui-ci par exemple, que j'ai ouvert pour un prix défiant toute concurrence).

Tout le monde est content. Google est l'une des plus grosses capitalisations américaines; Wikipédia est la plus grande encyclopédie qui ait jamais existé; YouTube est le troisième site le plus visité au monde. C'est partiellement contre-intuitif, mais la gratuité est, de nos jours, la clef du succès. Et cette gratuité est avant tout possible parce que les électrons ne coûtent quasi-rien. Ils ne coûtent quasi-rien et on gagne chaque année le droit d'en accumuler ou dépenser deux fois plus pour le même prix: c'est la Loi de Moore.

Il nous faut donc penser en termes d'abondance des ressources plutôt qu'en termes de rareté. Outre nous faire des vacances du film de Yann Arthus-Bertrand, cette approche généreuse a beaucoup plus d'impact sur la vie wikipédienne, et comment la gérer.

J'essplique.

Ceux d'entre vous qui auront lu le dernier article de Chris Anderson dans Wired, ou son dernier livre auront déjà une idée de ce dont je parle. Pour les autres, lisez l'article ou regardez la vidéo ci-dessous. S'il le faut, apprenez l'anglais afin de pouvoir le faire:



On s'est dernièrement beaucoup gaussé d'Anderson parce qu'il avait cité de larges extraits de Wikipédia sans la créditer. Ce qui n'a fait rire personne, par contre, ce sont ses idées - ou plutôt son constat que de nos jours, comme je l'indiquais plus haut, le prix de l'information et de sa circulation est tellement faible que ça ne vaut même pas le coût de la facturer. Un nouveau secteur économique se crée, sur un nouveau business model dont personne, à commencer par Anderson, ne sait vraiment à quoi il pourrait bien ressembler à terme. La seule chose qui est sûre, c'est qu'il est de nos jours plus économique de "gaspiller" des ressources (en diffusant gratuitement des vidéos, stockant des photos) que d'attraper par le biais d'une couteuse campagne de pub l'hypothétique client qui paierait pour avoir la même chose, voire moins bien. Si vous ne me croyez toujours pas, demandez vous combien il resterait de blogs wikipédiens si nous devions payer blogspot, wordpress ou over-blog. D'ailleurs, combien d'entre nous seraient au courant de l'existence de ces services?

Demandez vous également pourquoi le service informatique de votre compagnie limite la taille de votre boite aux lettres électronique à 244 mégaoctets (d'où sort ce chiffre, je l'ignore mais c'est le mien), alors que sur mon seul PC, branché en permanence au réseau, l'espace inutilisé est de 30 60 gigas. Il n'y a évidemment pas de raison autre que le fait que notre service IS est géré par un vieux crabe qui, il y a trois mois encore, pensait qu'Internet Explorer 5 (IE5) était un navigateur décent (la version 8 est sortie il y a quatre mois). Le vieux crabe, comme tout le monde, pense encore en termes de ressources limitées alors que tripler le volume de stockage disponible pour chacun lui couterait une centaine d'euros. Je soupçonne que la mise au rebus des machines à écrire s'est faite contre son gré.

Quoi qu'il en soit, Anderson traduit tout cela par le tableau suivant:







 RaretéAbondance
RèglesTout est interdit à moins d'être autoriséTout est autorisé à moins d'etre interdit
ModèlePaternalisme
("Nous savons ce qui est bien pour vous")
Égalitariste
("Vous savez ce qui vous va")
DécisionDe haut en basDe bas en haut
StructureCommander et contrôlerIncontrôlable


La deuxième colonne décrit exactement la façon dont Wikipédia fonctionne: l'absence de règles, de hiérarchie formelle, le bordel continu comme façon d'être et de progresser. Le coût d'hébergement d'un article est infinitésimal. Ou plutôt, pour les 12 millions d'articles présents (et avec un budget annuel de 6 millions de dollars), chaque article coûte en moyenne 50 cents à stocker et diffuser. C'est cher. Ajoutez 4 millions de documents sur Commons et l'on tombe à 37.5 cents. Prenez encore en compte que la bande passante (la fraction coûteuse du budget) est monopolisée par Michael Jackson et les 999 autre articles suivants en terme de fréquentation, et l'on s'aperçoit vite qu'effectivement, Wikipédia c'est plutôt donné. La gestion et mise en place des Pages à Supprimer, en ce sens, coûte plus en temps à chacun de ses participants qu'il n'en coûte d'ignorer et conserver l'autobiographie de je ne sais quel thésard en mal de reconnaissance (et d'emploi). Tout le monde aurait meilleur compte à contribuer sur ses articles.

Wikipédia, c'est une évidence, doit son succès au fait qu'elle propose de tout (c'est à dire plus que ses concurrentes), et gratuitement (et donc pour moins cher). Appelez ça un cercle vertueux: la gratuité de l'information attire de nouveaux lecteurs, qui eux-mêmes se lancent dans la création de nouveaux articles; ceux-ci en retour assurent la pérénnité de Wikipédia en tant que référence encyclopédique, ce qui attire de nouveaux lecteurs, etc. etc..

Cela signifie-t-il donc que nous devons pour autant devenir d'ardents conservationnistes?

La réponse est oui, bien sûr... et non - ne serait-ce que parce que ce terme reflète plus une posture qu'une démarche et est en soi vide de sens. Mais comme le post est déjà long, ce sera l'objet d'un prochain billet.




1. Juste pour resituer: IE5 n'a pas d'onglets, pas de barre de recherche, ouvre tous les liens dans une nouvelle fenêtre et met plusieurs secondes pour ouvrir n'importe quelle page - y compris sur notre Intranet.

4 commentaires:

DS a dit…

C'est une blague pour IE5? Tu utilises encore des cartes perforées au boulot? :)

Sinon, ta façon de voir le débat suppressionistes/conservationistes sous l'angle des ressources consommées est nouvelle pour moi... donc intéressante.

P. Lechien a dit…

Je suis officiellement passé à IE7 (sept) le 10 juin dernier...

DC a dit…

"je ne sais quel thésard [...] " : moi je sais à qui tu fais allusion ;-).

P. Lechien a dit…

Meuh non :-)